La crise du travail, entre bonheur et raison d’être
Maxime Baduel, Les Échos le 19/10/2017
La place du travail dans notre société est un sujet de débat mettant fréquemment en avant deux visions du travail qui s’affrontent : l’épanouissement par la réduction du temps de travail, contre l’épanouissement par le développement du travail.
D’un côté une idéologie qui considère le travail comme une contrainte et dont le progrès social se résumerait à s’affranchir de ce travail. De l’autre côté, une position qui consisterait à dire que le travail est une richesse si bien pour la société (d’un point de vue économique) que pour l’individu, le progrès social viserait l’épanouissement et l’accomplissement par le travail. Une idée qui n’est pas étrangère au monde de l’entreprise.
En s’appuyant sur les différentes crises du monde de la finance, Pierre Yves Gomez analyse la crise du travail au travers de son ouvrage « le travail invisible ». Il revient sur la notion de progrès social, en précisant que le progrès n’est pas de s’affranchir du travail, mais de se l’approprier. En effet le travail apparaît comme un projet de vie, et comme une source de bonheur. Les collaborateurs aspirent à être reconnus, cherchent la performance de leur travail et leur place dans l’organisation : c’est l’expérience de travail « dans la vraie vie » [1].
Le bonheur au travail : chantier actuel des entreprises « où il fait bon vivre »
Le bonheur au travail est devenu alors un objectif stratégique, et une vitrine pour les entreprises. Chaque année l’institut Great Place to Work [2] publie la liste des entreprises où il fait bon travailler selon ses salariés. Ces entreprises deviennent alors des places convoitées des jeunes diplômés ou des profils expérimentés en quête d’épanouissement.
Egalement l’émergence du poste de CHO (Chief Hapiness Officer) montre le souci du bonheur en entreprise, et la traduction de cet objectif en fonction concrète. La raison d’être de ce collaborateur est de mettre en place une culture de travail positive, afin de fédérer les salariés et de créer du lien. Loin du cliché des salles de jeux ou des soirées d’entreprises, le CHO mène son action sur les processus et l’organisation de l’entreprise. Cette fonction est de plus en plus demandée, si bien que le site d’annonces QAPA a enregistré une augmentation d’offre de CHO de 967% entre 2014 et 2016 [3].
Une gradation des pathologies au travail
Par la recherche du bonheur au travail, de nouvelles pathologies ont été identifiées. La protection au travail apparaît alors comme une action essentielle au vu des troubles psychologiques présents sur le marché : burn out, bore out, et plus récemment brown out. Selon un rapport de l’Academie Nationale de Médecine [4], il y aurait en France environ 3 millions de sujets concernés par le burn out.
Notons également la gradation de ces pathologies, les syndromes d’épuisement professionnel dus à la surcharge de travail (burn out), ou à l’ennui (bore out), se sont développés vers un épuisement dû à l’absurdité des tâches confiés (le brown out). Cette évolution montre bien que la difficulté ne réside plus uniquement dans l’ampleur du travail mais bien dans la légitimité de ce travail. Ces différentes pathologies soulignent fidèlement l’évolution des réflexions en entreprise, soit le basculement du « comment » vers le « pourquoi ».
La question n’est donc plus seulement que le travail se passe bien, mais que le travail ait du sens. Entreprise libérée, chief hapiness officer, sociocratie ou holacratie… Les concepts fusent ces dernières années, ceci se résume assez simplement : le travail est une partie importante de l’identité de chacun d’entre nous, il en devient une raison d’être.
L’organisation comme levier de transformation
Cette évolution de la place du travail a des répercussions directes sur l’organisation des entreprises, notamment la hiérarchie. Le temps où le manager représente la personne sur laquelle abandonner son problème est révolu. Le manager ne peut plus être un expert avec plusieurs années d’expérience – on attend d’autres compétences de lui : encadrement, accompagnement, soutien, communication, vision. L’entreprise américaine Gore a été même plus radicale, et a mis au point une organisation sans hiérarchie et sans fonctions prédéfinies. Si bien que l’on incite le nouvel arrivant à trouver sa place en définissant son poste.
L’holacratie basée sur la mise en œuvre d’une intelligence collective va encore plus loin en se distinguant par des équipes auto-organisées, centrées sur la raison d’être de l’organisation. Selon Bernard Marie Chiquet, ce nouveau mode de gestion est adapté aux contraintes de notre siècle et fournit une réponse concrète et applicable aux défauts de gouvernance [5]. L’organisation y est structurée en cercles, autonomes dans les méthodes pour atteindre ses objectifs. Chaque salarié rejoint ces cercles selon ses appétences et compétences.
On voit bien que résoudre le problème du travail n’est pas seulement traiter les pathologies, rendre heureux ses salariés mais surtout donner du sens au travail de chacun. En s’appuyant sur les compétences et intérêts des collaborateurs, et en repensant l’organisation des entreprises, ce projet peut devenir concret et donne une véritable trajectoire de carrière. Et il n’est pas exclu que le responsable du bonheur se transforme, bientôt, en responsable de la raison d’être en entreprise.
Maxime Baduel
[1] Pierre-Yves Gomez, Le travail invisible, François Bourin Editeur, 2013, 252p.
[2] http://www.greatplacetowork.fr/
[3] http://www.leparisien.fr/societe/metier-responsable-du-bonheur-27-01-2017-6624018.php
[4] Rapport de l’Académie Nationale de Médecine du 26 février 2016
[5] http://www.journaldunet.com/management/expert/63897/holacratie—une-revolution-en-marche.shtml
En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-175007-la-crise-du-travail-entre-bonheur-et-raison-detre-2123257.php
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